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LANDSCAPE ART - Les colonnes flottantes de Jean Moré

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Développement

 

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Passage dans les marais normands

 

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Passage par la nuit

Passage d'une journée grise

Passage de l'art au réel

Passage dans le bleu

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Passage à Dijon

 

Passage dans l'histoire

 

Passage sur un fil

 

Passage de la guinguette

 

Passage du printemps

 

Passage entre deux mondes

 

Passage du concept au concret

 

Passage des étonnés

 

Passage des idées

Passage des idées

"Ce n'est qu'un début, continuons le jardin..."                                                             Sollers,  "Une vie divine"

                                

     Jean Moré répond aux questions étonnantes de Samuel Dudouit (poète et écrivain) sur les colonnes, sur leur conception, sur l'image qu'elles créent dans les autres...

   

 

 

SD - Bonjour Jean, on est ensemble parce que j'aurais voulu te poser quelques questions sur ton activité des tes colonnes. C'est une discussion qu'on va avoir mais à partir de quelques questions que j'ai préparées.

 

JM - On va voir ce que ça donne!

 

SD - La première chose, en y réfléchissant  depuis quelques jours, c'est de savoir si, à travers tous les aléas de la conception et de la construction de tes colonnes, tu te souviens d'un moment où tu t'es dit: "Voila, c'est ce qu'il me fallait faire! C’est ça que je veux faire!" et à ce moment là, au delà des questions techniques, si tu avais déjà une idée de l’importance pour toi de ce que tu faisais?

 

JM - Non, je n'ai jamais eu ce moment où je me suis dit "c'est ça!"... si ma vie a un sens, est-ce que ce sont les colonnes qui vont être la concrétisation de ce sens là?  Non... j'ai toujours eu un esprit en recherche; et depuis 24 ans que je fais le travail dans lequel j'ai de la chance de me réaliser,  je me suis toujours amusé à remplir mon esprit d'autres choses... Pour moi c'est très important de mener plusieurs idées de front , ça m'aide à faire ma tâche quotidienne... En effet je ne m'ennuie pas... je ne m'ennuie jamais... je ne m'ennuie même pas avec moi donc...

 

SD -... tu as installé tes colonnes dans des lieux très différents, souvent à l'extérieur, mais pas toujours. As tu  remarqué si il y avait une différence d'effet sur  toi ou sur les regardeurs, selon que les colonnes sont dressées à l'extérieur ou à l'intérieur? Est ce qu'il y a un endroit où elles sont plus efficaces? Moi, j'ai mon idée là-dessus....

 

JM - Alors là... tu m'étonnes, parce que en effet, en intérieur... la seule fois c'est tout récent... c'est le retour du Tokyo...

 

SD - Je pense que tu les avais installées en salle aux Abattoirs de Toulouse pour la performance avec Joël Hubaut  ... non?... c'était à l'intérieur?

 

JM - Merci, Samuel!  Oui, c'était à l'intérieur aussi... mais elles n'étaient pas dressées! Ce que je veux dire... mon originalité ce n'est pas le gonflable en lui même, c’est le fait qu'il soit debout! Parce que, tout le monde fait du gonflable, ce n'est pas compliqué... bien d'autres dans les années 60 en ont fait... Andy Warhol, Bernard Quentin, Jean Aubert, ce sont des gens qui ont travaillé dessus, mais la plupart du temps ce sont des objets au sol.  Ma spécificité est de les ériger, de mettre debout des choses qui ne tiennent pas debout!

 

SD -  J'ai pensé aussi au fait que ça soit campagne ou ville... par exemple quand tu les as dressées dans le centre du Cherbourg, sur la place devant le théâtre, et dans des jardins, ou dans des prés, dans des champs, sur des falaises. J’avais l'impression que c'était plus fort en nature, si tu veux. Peut-être c'est une  question de rapprochement avec des tailles différentes... les immeubles finissent par écraser les colonnes, ou au contraire, dans la nature elles sont plus hautes que les arbres... Je pense que ça a, quand même, un rapport avec la nature.

 

JM - Tu me poses une question à laquelle je ne sais que répondre... c'est vrai que je suis habitué à les voir dehors,  que ça soit dans la nature,  pour des raisons de festivités, ou dans mon jardin, qui est un peu mon atelier, ou j'imagine, je crée, je m’exerce... et puis quand je vais ailleurs... ma première sortie publique c'était en 1999, le 11août, le jour de l'éclipse,  j'avais été invité à la Hague, le Cap-Eclipse... là je les ai vues de loin, dans un univers complètement plat,  au milieu du public... Pour moi c'était important, une colonne de 25m qu'il fallait que je mette debout,  quand chez moi j'ai des arbres autour pour la tenir, là il a fallu que je me débrouille tout seul, il n'y avait rien... En fait c'est ça, mes colonnes: l'idée artistique des colonnes c'est de les ériger sur rien! J'aime bien aller sur le sable aussi, parce que il n'y a rien pour les tenir... à mon avis, c'est fort symbolique... tout doit être léger... ça doit être debout sur rien!  Je construis sur du sable. Dès que j'ai quelque chose de lourd et stable , c’est trop facile.

 

SD - Je pense que ça prend moins de force en intérieur et en ville qu'en nature, malgré tout, l'environnement est quand même plus léger, parce que l'architecture tout autour plombe un peu le visuel.

 

JM – C’était vrai au Calais Beach Festival 2004 où je les ai érigées, certes près de la plage, mais devant des immeubles en front de mer. Là elles étaient écrasées ;  Oui, mais à Tokyo, dans un vaste hall , c'était rigolo, elles peuplaient d’un coup un espace vide et acquéraient là une dynamique propre, propre aussi à surprendre les habitués de ce lieu...

 

SD - C'était intéressant, j'ai vu les photos... mais on n'a pas du tout la même impression que dans ton jardin, par exemple. C'est très différent!

 

 JM - Ce qui était surprenant pour moi était de voir mes colonnes dans un univers fermé, et de voir le public encravaté en train de les regarder, en train de circuler autour... alors que le premier spectateur  c'était quand même un cultivateur...       

          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SD - Je continue... tes colonnes te prennent beaucoup de temps, beaucoup de travail, et t'ont demandé beaucoup d'invention technique, d'ingéniosité. J'ai même l'impression parfois  qu'en fait, ce sont elles qui rythment ton existence, comme si c'étaient elles qui donnaient une sorte de tempo, une ponctuation de temps... comme on dit en poésie, une métrique. Je me suis demandé, avec cette métrique de l'existence qu'elles t'imposent, est ce que tu ne serais, toi, plutôt leur exécutant, leur récitant? En bref, qui commande? C'est elles ou toi? 

JM – Tu as raison, je peux aussi me poser cette question-là... C'est intéressant que tu l'aies  formulée... Je suis à leur rythme en fait... Par exemple en hiver, elles sont à l’abri de la pluie et de la voracité des souris, mais dès que le printemps arrive, là ça ne rigole plus.

SD - Donc ça serait plutôt un peu elles...

JM - Oui, elles imposent leur rythme...  travailler du lundi au vendredi soir, c'est un peu pénible... même si mon activité est passionnante, c'est quand même du boulot, quoi... Je gagne ma vie, mais je préfère la dépenser. Donc, j'ai hâte d'être au samedi matin pour me lever tôt... regarder le ciel, et puis voir si il y a du vent ou s'il n'y en a pas, les deux cotés sont intéressants... c'est toujours les colonnes, mais le vent ou le calme permettent de choses tellement différentes...

SD - Je me pose la question quelle est la place des photographies dans ce que tu fais. Est ce qu'elles sont absolument nécessaires, ou est ce qu'elles ne pourraient pas être qu’une sorte de mémoire de Jean Moré? Des mémoires qui ne donneraient pas à voir ou a lire des faits ou des événements, mais des lieux... des lieux comme autant des figures de Jean Moré.  En parlant du poète portugais Fernando Pessoa, Alain Jouffroy affirme qu'à l'inverse du cliché qui  dit qu'un paysage c'est un état d'âme,  Pessoa a compris qu'un état d'âme c'est un  paysage... Je me demande si les photos ne seraient pas une sorte de carnet de route de Jean Moré emporté pas ses colonnes...

JM - Les photos sont très importantes, effectivement, parce que il n'y a qu'elles qui concrétisent l’action du dressage... je fais des choses tellement éphémères, je ne travaille que pour l'éphémère,  pour le moment,  il y a aucun sens dans la durée. Même pour celui qui regarde, le vrai intérêt est de voir le travail se faire.  Si on réussit, tant mieux, il y a un petit plaisir esthétique.  Mais c'est la bagarre aussi...

SD -  Une question que je me suis posé... as-tu rêvé de tes colonnes?

JM -  Ah!  Jamais!  Alors, ça c'est curieux....Je n'ai aucun souvenir de rêve d’elles!

SD -  Alors on passe à une autre question: tes colonnes ont partie liée à l'architecture, mais une architecture qui est légère, qui est aérienne. Et ça m'a fait penser au baroque. Pour moi tes colonnes sont baroques dans le sens où l'entend l’écrivain portugais  Eugénio d'Ors, c'est à dire qu'elles sont des formes qui  semblent vouloir déjouer les exigences des lois de la pesanteur.  Elles paraissent à la fois graviter et s'enfuir.  Il va jusqu'à dire que ce sont des formes qui volent. Moi  j'avais pensé ça comme si c'étaient des fragments de Pompéi, pas le Pompéi qui existe, mais tout un tas de Pompéi multiples sur terre,  qui d’un coup, reviendraient faire surface dans les colonnes, comme si elles venaient ressusciter toutes ces architectures détruites.  Et je sais que tu as visité Pompéi!  Cette image là, d'architecture ou de colonnes détruites, enfouies qui ressortiraient quasiment ressuscitées,  en envol, ça te parle, ou ça  ne va pas du tout comme idée...

JM - Ça me plait bien comme idée... un peu comme l'âme de colonne...

SD - Voilà, quelque chose comme ça... l'âme, ou un nouveau corps... est-ce qu'on peut dire un corps glorieux, ou quelque chose de plus... qui peut nous débarrasser du poids lourd... du poids mort que représente l'architecture en fait! Et quand tu étais à Pompéi, tu n'as pas du tout pensé à ça...

JM - Non... Alain Jouffroy… il y a pensé…  il m'a fait quelques textes... sur le temple, justement... tu parlais tout à l’heure  de l'âme de la colonne... il y a vu un temple grec.... j'étais surpris j'avais pas imaginé qu'on pouvait connoter ça comme des piliers, comme des pilastres d'un temple. En plus c'est Alain qui a trouvé le titre: "colonnes flottantes", qui mélange à la fois l'aspect massif de la colonne et l'envol... des choses légères.

SD - Puisqu'on parle d'Alain, j'ai relu récemment "Le manifeste de la poésie vécue" qu'il a écrit à peu près à la même époque, il y a dix ans, où il dit "le dessinateur c'est celui qui recrée l'espace d'accueil du dehors". Je me suis demandé si ça ne ressemblait pas à ce que tu faisais avec tes colonnes?  Si pour un moment tu ne te sentais pas un dessinateur? Un dessinateur un peu spécial, sans crayon, avec des colonnes? ...Accueillir l'espace, simplement en dressant des colonnes.... 

JM -  Les colonnes sont un décor pour l'espace, c’est un élément un peu surprenant... et ce que j'aime c'est surprendre... en effet c'est le commissaire d'exposition à Toulouse, Pascale Pique, qui m'a dit, "tu fais du landscape art".  Donc, c'est lui qui a défini la nature de l'objet...

SD - Tu ne me fais pas l'impression de décorer l'espace, mais de le dessiner... je me suis rendu compte  qu'avant que tu ne montes tes colonnes dans ton jardin, je ne l'avais quasiment pas vu. Mais du jour où il y eu des colonnes, je l'ai vu!  Est ce que finalement ces colonnes n'ont pas un effet de révélateur?   Révélateur de l'espace lui même - c'est à dire que sans elles on ne le verrait pas, ça resterait un décor, alors que ça devient autre chose, une fois qu'elles sont posées.  Pareil, sur la plage.... avant c'est une plage et on la voit à peine, mais après, on la regarde différemment.

JM - C'est le propre de l'art de faire voir les choses différemment... Alors que mon jardin est juste un carré de verdure, c’est aussi un lieu génial pour faire ça. Bon, j'ai l'esprit toujours tourné vers d'autres choses, un peu inventif et inquiet. Je m’attaque à des choses pratiques: mon cueilleur des mûres, le matelas à eau... plein choses qui ont marché ou avorté, mais, enfin, qui témoignent de ce qui se passe dans ma cervelle. En tout cas, je suis le seul au monde à avoir inventé ça!  Personne d'autre ne peut l'avoir fait! Ce n'est pas de l'immodestie. J'ai un métier qui me permet de me mettre en contact avec plein d'entreprises, parce que pour faire ça,  il fallait que je choisisse le bon interlocuteur, il fallait que je connaisse plein de gens, il fallait que j'ai l'espace, il fallait que j'aie le temps aussi - mon métier me bouffe beaucoup, mais en même temps il me laisse un temps énorme... sans le temps je pouvais pas... Les colonnes c'est ma danseuse...

SD - Qui coûte très cher!  Mais c'est bien qu'on puisse la partager!

JM - Je ne suis pas jaloux de ma danseuse. Je la donne à voir à tout le monde!

  

 

 

 

 

 

 

SD -  Moi, j'ai vraiment l'impression que tes colonnes sont des révélateurs des lieux, des paysages,  parce que en les montrant dans le paysage, on a l'impression, non pas que tu répares le monde, parce que ça serait un peu compliqué, mais tu répares le regard que les gens posent dessus.  C'est comme une acupuncture, tu poses tes épingles dans le paysage, et le paysage on le voit!  Avant on ne le voyait pas! 

JM - En effet le vrai plaisir que j'ai, est que les autres voient les choses et les lieux autrement. Certes je travaille pour moi!  C'est d'abord me faire plaisir que de m’échiner à dresser des choses, parce que je veux les dresser!  Mais je suis ravi que ça plaise... c'est génial de partager quelque chose, de voir le regard  de quelqu’un s’allumer.

SD - On va revenir un peu sur les colonnes qui sont baroques, qui sont légères, qui s'envolent... j'ai lu ça dans le même livre d'Eugénio d'Ors: "le baroque est secrètement animé par la nostalgie du paradis perdu". Moi je précise tout de suite que personnellement je ne te sens pas nostalgique, ni dans ton travail, ni ta personne, mais est-ce que tu serais animé, si ce n'est par la nostalgie, du moins par le désir d'une sorte de paradis perdu quelque part?...

JM - ...Je suis animé par un puissant moteur métaphysique, quand même!  J'ai certaines idées de l’au-delà... de la quatrième dimension en fait.   J'érige...  je sors du plan!  Ce que je voudrais c'est sortir de la troisième dimension!

SD - Je pense que tu le fais!  En effet c'est ça ma conclusion, si tu veux, que l'effet que tes colonnes font sur ceux qui les regardent ou qui les croisent, c'est de les renvoyer finalement à leur propre présence, à l'instant là ou ils sont, de les renvoyer à leur propre corps. Tout d'un coup ils se rendent compte qu'ils sont là!  Par l'effet de la présence des colonnes.  Et en même temps, de ressentir le lieu, une sorte de jardin... En bref, pour moi, tes colonnes ça ramène toujours au jardin.

JM - A  l'Eden!

SD - Voila!  Le jardin ce n'est pas anodin... un jardin, ça renvoie plus au moins à quelque chose de religieux... sinon religieux, spirituel.  Dans le dernier roman de Sollers qui s'appelle "Une vie divine" je suis tombé sur une phrase  qui est vraiment magnifique, c'est un détournement d'une phrase des avant-gardes politiques des années 60, mais ça dit: "ce n'est qu'un début, continuons le jardin".  Je trouve ça extraordinaire, et je me suis demandé la chose suivante : si tu avais le choix, et un choix absolu, vraiment absolu, y compris interplanétaire, maintenant, où est-ce que tu aimerais continuer le jardin? Où est-ce que tu aimerais  planter tes colonnes?  Quels endroits ?

JM - Tu veux me faire dire des choses... un projet, un vague projet, mais ça peut se réaliser, c'est de faire deux colonnes  homothétiques de Twin Towers, et de les mettre à New York, comme les Twin Towers... ça c'est une des idées...

SD - C'est possible....

 JM - Quand les Twin Towers sont tombées, je me suis dis: "tiens, ils sont en train de chercher des choses, je vais faire une immense colonne en plastique. Mais bon, des gens comme notre emballeur, Christo, ont déjà fait des choses comme ça....

SD - Christo il emballe, il ne gonfle pas!

JM - … ce sont des choses gigantesques!

SD - Mais beaucoup moins gonflés!

JM - Donc pour répondre à ta question... New York, évidemment, le "Ground Zéro" maintenant... les Pyramides, Rome, le Vatican ou pire… avec des colonnes roses… mais gardons le secret...

SD - On va continuer le jardin plus loin...

JM - Ou on va retrouver le jardin ailleurs....Merci Samuel!

SD - Merci Jean! 

   

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